Entre débat spéculatif à caractère politique et instrument de dénonciation de la mauvaise gouvernance des revenus issus de l’extraction minière, la théorie d’une certaine « malédiction » qui toucherait les pays riches en ressources naturelles nourrie l’opinion publique. Elle exacerbe les tensions sociales dans les sites d’exploitation des ressources naturelles et entraîne un pessimisme quant à l’avenir des grandes « régions » productrices de minerais. Le paradoxe entre richesse minière de certains pays et pauvreté de la grande majorité des populations sert de base explicative à cette fameuse « malédiction ».
Qu’est-ce qui expliquerait cette distorsion entre richesse en dotation géologique et faiblesse du niveau de vie ?
Le signal lancé par une étude scientifique A l’origine de cette assertion se trouve l’étude publiée en 1995 par deux (2) éminents économistes. En se basant sur un échantillon de 95 pays, Jeffrey Sachs et Andrew Warner ont démontré la relation négative entre le haut ratio des exportations de ressources naturelles sur le PIB et le taux de croissance à long terme (période de 1971-1989). Autrement appelée « syndrome hollandais », introduit par The economist pour désigner la stagnation économique des Pays-Bas dans les années soixante-dix suite à la découverte de large gisement de gaz naturel.
Comment fonctionne cette malédiction ?
La découverte et la mise en exploitation des ressources naturelles dans un pays déstabilisent son économie par trois mécanismes complexes mis en exergues par l’ingénieur des mines Giraud et l’ingénieur des eaux et forêts Olivier :
1- Le développement du secteur extractif défavorise le secteur industriel ou des services aux croissances potentielles plus élevées. Elle favorise l’appréciation de la monnaie suite à l’augmentation des exportations minières ou pétrolières par une augmentation du taux de change (notamment dans les pays pétroliers). Ce qui pénalise les autres secteurs d’exportation. Autrement, l’obtention de rentes qui renflouent facilement les caisses de l’Etat entraîne la régression des autres secteurs productifs. En Guinée le secteur extractif contribue à 32% aux recettes de l’Etat et près de 20% du PIB contre 7,7 pour l’agriculture.
2- La fluctuation ou la volatilité des prix des matières premières développe une gestion mal maîtrisée des dépenses publiques sous l’effet de « coups d’accordéon inefficaces » entraînant des surendettements et des dépendances accrues aux rentes minières. La filière bauxite représente aujourd’hui 62% des revenus miniers perçus par l’Etat guinéen. Un affaissement probable du prix de ce minerai à cause des surcapacités industrielles des alumineries chinoises (50% de l’aluminium produite et consommé dans le monde) conduirait à un endettement pour faire face aux dépenses publiques et sociales.
3- Les rentes développent la corruption dans les Etats miniers. Les flux financiers qu’elles génèrent passent par d’innombrables circuits complexes et divers au sein de l’Etat. Le rapport ITIE 2018 indique 58 flux financiers ou poches d’entrée d’argent issues du secteur extractif. Il est également établi dans plusieurs études le lien concomitant entre rentes minières et conflits armés, rentes et dictatures.
« Du comportement productif au comportement rentier »
Les conséquences de ces mécanismes de déstabilisation de l’économie des Etats rentiers sont multidimensionnelles et socialement profondes. Elles se traduisent par une atrophie du secteur privé local, qui chercherait à capter une partie de la rente grâce à des réseaux relationnels et politiques, qu’à développer un investissement compétitif et rentable à long terme. Entre 2011 et 2019, la sous-traitance locale dans le secteur minier en Guinée a représenté près de 8 milles milliards GNF. Ces achats locaux de biens et services profitent plus à des oligarchies politiques et économiques qu’à la constitution d’un véritable tissu économique local productif et générateur de croissance. Par ailleurs, on note une faible interaction entre le secteur minier, le secteur privé formel et le monde rural. Une déconnexion entre l’économie minière et l’économie locale fondée sur l’agriculture et l’élevage. Pierre Noel Giraud et Timothée Oliver notent que les Etats rentiers se caractérisent par une « hypertrophie des villes et dans les villes (grandes villes minières) par une hypertrophie du secteur informel ». Enfin, la prédominance sociologique et psychologique observable du comportement rentier sur le comportement productif au sein de la population. « Nous devons avoir tout et gratuitement » est la devise des habitants des zones minières.
Loin d’être une maladie incurable, la malédiction des ressources minières s’expliquerait autrement par la défaillance du capital institutionnel. La réussite spectaculaire d’Etats rentiers comme le Botswana, la Norvège, l’Australie met en évidence le rôle des institutions politiques et économiques dans la redistribution équitable et durable des revenus miniers.
Par BARRY Oumar, Doctorant en Sciences Politiques à l’Université de LYON (France), chercheur sur les industries extractives en Afrique.